05/12/2015
La rue Vinâve à Tilleur
Le mot « vinâve » (hérité du latin « vicinus ») est une expression typiquement régionale qui désignait au départ une agglomération de maisons, un quartier, un bourg ; par extension, il s'est appliqué à la rue la plus importante de ce quartier ou de ce bourg.
La rue Vinâve de Tilleur au début du XXe siècle :
Et de nos jours :
La rue Vinâve était donc autrefois l'artère la plus importante du village de Tilleur. Partie intégrante de la grand route reliant Liège et Huy, elle est représentée en rouge sur le plan ancien qui suit (cliquez dessus pour l"agrandir dans une nouvelle fenêtre) :
Nous voici à l’angle de la rue Vinâve et du quai du Halage, sur une carte postale écrite en 1906. Le quai de la Meuse développe ses activités portuaires grâce au charbonnage du Horloz tout proche. Remarquez le rivage donnant directement sur le fleuve, sans haute digue comme de nos jours :
La haute digue visible sur la droite de la photo suivante fait partie des aménagements apportés au fleuve à la suite des inondations catastrophiques de l'hiver 1925-1926 :
Voici le même endroit pendant ces fameuses crues :
Et photographié en 2008 depuis le sommet de la digue :
La digue le long du quai du Halage à Tilleur :
À la fin du XIXe siècle et début du XXe, à l'époque de l'essor de la grande industrie et des charbonnages, la rue Vinâve est très commerçante. À droite, il s'agit de la boucherie charcuterie d'Étienne Kangiester, le fondateur en 1890 de la conserverie Viaka :
Pendant les inondations du début janvier 1926 :
L'immeuble pointé d'une flèche, sur la vue ci-dessus, date du XIXe siècle et a servi autrefois de maison communale ; il est devenu la nouvelle école communale :
Voici la rue Vinâve vers 1904. À droite, s'ouvre la rue de l'Arveau, ainsi appelée parce qu'elle menait autrefois à une ferme dont l'entrée était un « årvô » (mot wallon désignant un passage voûté) :
La vue ci-dessus a inspiré notre artiste local Tony Bergmans (dessin à la plume) :
C'est à l'aube du XXe siècle que la rue de l'Arveau est prolongée en ligne droite jusqu'au rivage, où l'ancienne ferme a été remplacée par le chalet du débarcadère, café-terrasse établi à cette escale du bateau-mouche :
Le même endroit de nos jours :
Retour à la rue Vinâve au début du XXe siècle, à l'approche de l'église Saint-Hubert et du charbonnage du Horloz (voir les articles consacrés à ces sujets) :
Le même endroit de nos jours :
La rue Vinâve d'antan vue cette fois depuis la place de l'Église :
La station de pompage qu'on voit sur le document ci-dessous date de 1933 (architecte : Joseph Moutschen). Elle fait partie d'une série d'ouvrages érigés à la suite des inondations de 1925-26* :
* C'est en 1928 qu'est créée l'AIDE (Association intercommunale pour le démergement et l'épuration des communes de la province de Liège).
De nos jours :
La perspective de la rue en direction de Jemeppe, au début du XXe siècle. À gauche, la rue de l'Arveau :
À l'arrière-plan, la digue de la Meuse vers 1937 :
Le tram vert débouchant de la rue Vinâve au milieu des années 1930 :
Les deux photos qui suivant présentent l'angle de la rue Vinâve et du quai du Halage, la première au tout début du XXe siècle, la seconde au milieu des années 1930 :
La démolition de ce coin en octobre 1938 :
La rue Vinâve perdra son importance au lendemain de la seconde guerre mondiale, quand le quai du Halage sera adapté en 1947 pour la remplacer comme axe routier principal.
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16:45 Écrit par Claude Warzée dans 15. La rue Vinâve | Commentaires (1) | Facebook |
02/12/2015
La gare de Tilleur
La gare de Tilleur au début du XXe siècle :
La gare désaffectée et taguée en 2008 :
La gare de Tilleur se trouve sur la ligne ferroviaire 125 qui relie Liège et Namur, en orange sur ce plan :
Cette ligne a été créée en 1850 (Liège Val Benoît-Bouge) et agrandie en 1851 (Liège Guillemins-Namur).
Le plan qui suit ( cliquez dessus pour l'agrandir dans une nouvelle fenêtre) nous reporte en 1850. La flèche désigne l'emplacement de la première gare de Tilleur, avant que celle-ci ne soit déplacée une trentaine d'années plus tard à l'endroit marqué d'une croix :
Plan dessiné par Tony Bergmans.
C'est en 1882 que la gare qu'on connaît a été construite. La ligne 125 est alors exploitée par la compagnie du Nord-Belge*, filiale de la compagnie française des Chemins de Fer du Nord. Les diverses stations bâties à cette époque se ressemblent, avec leur architecture d'inspiration française.
* La Nord-Belge sera nationalisée en 1940.
Voici deux photos prises depuis la passerelle qui enjambe les voies ferrées, la première dans la première moitié du XXe siècle, la seconde actuellement. À remarquer, sur la première vue, la belle-fleur du charbonnage du Horloz et le clocher de l'ancienne église Saint-Hubert (démolie en 1989) :
La rue de la Station en 2015 :
La rue de la Station s'appelait autrefois la ruelle de Liège (voir plan de 1850 en début d'article) ; elle provenait du carrefour des « six ruelles » et continuait au-delà du chemin de fer grâce à un passage à niveau. Celui-ci est supprimé en 1879 et remplacé par une passerelle. En même temps, la rue est coudée au niveau de l'actuelle rue Lairesse*, puis prolongée en direction des actuelles rues des Rêwes** et Ferdinand Nicolay***. Elle prend le nom de rue de la Station puisqu'elle mène désormais à la gare.
* Du nom d'une famille locale.
** Anciennement rue des Rhieux. « Rêwe » et « rieu » signifiaient « ruisseau », en l’occurrence celui du Horloz aujourd'hui canalisé.
*** Ferdinand Nicolay, philanthrope, né à Stavelot en 1772 et décédé à Bruxelles en 1854. Si plusieurs établissements, rues et places publiques portent son nom, c'est dû au fait que cet homme d'affaires, sans descendance, consacra son immense fortune à des actes de bienfaisance.
La rue de la Station au début du XXe siècle. À gauche, on aperçoit la passerelle surplombant les voies ferrées :
Le même endroit de nos jours :
La gare de Tilleur que longe la rue de la Station, au début du XXe siècle :
La rue de la Station, face à la gare, pendant les inondations de l'hiver 1925-1926 :
La place d'Italie de nos jours, avec les anciennes maisons ouvrières rénovées :
Retournons dans la première partie du XXe siècle. En 1937, l'espace devant la gare est aménagé en petite place, que l'on appelle communément la place de la Gare, même si l'appellation officielle reste rue de la Station :
Le même endroit de nos jours :
Fermée aux voyageurs depuis 1993, la gare de Tilleur finit par être murée et dégradée :
Dans le réaménagement récent des lieux, une zone a été réservée à l'arrêt de différentes lignes d'autobus :
La place de la Gare a été rebaptisée place d'Italie en septembre 2006, pour rendre hommage à l'importante communauté italienne vivant dans la commune. L'événement s'est déroulé en présence du chanteur Frédéric François, qui a passé sa jeunesse dans la localité :
En avril 2008, à nouveau en présence du chanteur, un olivier centenaire a été planté sur la place d'Italie pour lui conférer un peu d'apparence méditerranéenne :
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11:30 Écrit par Claude Warzée dans 14. Gare de Tilleur | Commentaires (2) | Facebook |
15/03/2015
La houillère du Horloz à Tilleur
« Horloz » est le nom d'un ancien ruisseau qui descendait du Bois Mayette (Saint-Nicolas) pour aller se jeter dans la Meuse à Tilleur. Chemin faisant, il passait sous un pont de pierre au pied du Vieux Thier et alimentait des pompes publiques comme celle de la place Ferrer.
« Horloz » serait une altération de « hore » ou « xhorre », vieux mot liégeois désignant un canal d'écoulement des eaux. Le ruisseau a été d'une grande utilité comme araine à l'époque des charbonnages.
La photo qui suit montre le lieu-dit « Pont de Pierre » comme il est devenu de nos jours, à l'intersection entre les rues Ferdinand Nicolay, du Vieux Thier et Chiff d'or :
La partie inférieure de la rue Ferdinand Nicolay s'appelait d'ailleurs, autrefois, la rue du Horloz, comme en atteste cette carte postale de 1935 :
* * * * *
Au début du XIXe siècle, la famille Braconier (qu'on orthographie parfois avec deux « n ») s'intéresse à l'exploitation houillère et introduit des demandes de concession sous les localités de Jemeppe, Tilleur, Saint-Nicolas et Montegnée, qui sont alors des communes distinctes.
Le plan qui suit indique les limites, en 1890, de la concession dite du Horloz. Il servira à situer les lieux quand nous parlerons du Vieux Horloz (1), du Murébure (2), du siège Braconier (3) ou du siège de Tilleur (4) :
Ce plan, comme diverses explications dans cet article, est extrait du mémoire universitaire de Pierre Prévot, monographie d'un charbonnage : le Horloz (1805-1930), université de Liège, faculté de philosophie et lettres, années académique 1980-1981.
C'est d'abord la fosse abandonnée du Vieux Horloz qui est réouverte et approfondie, dès 1802. Une quinzaine d'années plus tard, elle fonctionne en complémentarité avec le puits du Murébure, lequel devient après 1830 le siège principal d'extraction ; il le restera jusqu'en 1849, année de sa fermeture à la suite de divers problèmes graves (explosions, inondations).
Les Braconier ouvrent alors un nouveau siège d'exploitation (le siège Braconier) à proximité du Bonnet, à Saint-Nicolas (voir autre article). Parallèlement, ils préparent un autre site dans le sud de la concession, dans le bas de Tilleur, entre la Meuse et la colline du Malgarny*
* La graphie « Malgarnie » est déjà citée au XIVe siècle. Probablement le nom de famille d'un propriétaire viticulteur, le coteau étant alors couvert de vignobles.
La suite de cet article n'est consacrée qu'à ce siège tilleurien du Horloz, inauguré en 1873. Le plan qui suit nous en montre l'implantation en 1947 (cliquez dessus pour l'agrandir dans une nouvelle fenêtre) :
Sur ce plan de 1947, le charbonnage est désigné comme la SA Charbonnages du Gosson, La Haye et Horloz ; depuis le début des années 1930, nous en reparlerons, la société du Horloz a en effet été reprise par d'autres.
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La houillère au pied du Malgarny en 1909 :
De nos jours :
Le charbonnage du Horloz et l'ancienne église Saint-Hubert vus à l'aube du XXe siècle depuis les hauteurs de la colline Malgarny :
Vue aérienne de nos jours (la croix rouge désigne l'emplacement de l'ancienne église Saint-Hubert ; la jaune, celui de la nouvelle ; la noire, celui de la houillère d'antan) :
Voici l'entrée de cette houillère, au tout début du XXe siècle, du côté de la rue de Liège (qui deviendra la rue des Martyrs en 1912, en hommage à des grévistes tombés vingt ans plus tôt sous le feu des gendarmes). À droite, on aperçoit le clocher de l'église Saint-Hubert :
Autre vue de cette houillère :
Les installations principales du charbonnage du Horloz en 1904 :
La configuration des lieux a beaucoup changé : la flèche rouge indique l'emplacement de l'ancienne église Saint-Hubert ; la noire, celui du charbonnage disparu :
Les deux vues qui suivent, la première du début du XXème siècle, la seconde de 2015, ont été prises de la passerelle qui franchit les voies ferrées près de la gare de Tilleur. Le cercle rouge indique l'église Saint-Hubert à chacune des deux époques :
Le charbonnage vu depuis la place de la Gare au début du XXe siècle :
De nos jours :
À l'arrière-plan des deux cartes postales anciennes ci-dessous, représentant la rue Vinâve (à l'origine, le mot « vinâve » désigne un quartier, puis par extension la rue principale de ce quartier), se dressent les cheminées de la houillère du Horloz :
C'est quai du Halage que l'on embarquait le charbon, mais aussi que l'on déchargeait les bois de mines servant à étayer les galeries :
La « paire aux bois » du charbonnage du Horloz :
La photo ci-dessous a été prise à Jemeppe en 1860 (Tilleur se trouve à l'emplacement désigné par la flèche) ; les berlines ne sont donc pas celle du Horloz, mais le document montre bien le déversement du charbon dans les péniches :
Revenons au quai du Halage à Tilleur même. Au début du XXe siècle, il n'y a ni route ni digue entre le quai et la Meuse. À gauche, l'immeuble aux deux frontons est une école communale. Au-delà de la végétation, juste avant les usines, s'ouvre une voie appelée la rue de la Meuse, le long de laquelle se trouve la paire du Horloz. Le rivage, à cet endroit, est un lieu de chargement du charbon dans les péniches :
La même perspective à la fin des années 1920 (on a construit la digue à la suite des inondations catastrophiques de l'hiver 1925-1926) :
De nos jours :
Ce qu'on appelait la paire du Horloz, la voici telle qu'elle se présente actuellement, le long de la rue de la Meuse :
Les installations du charbonnage couvraient autrefois toute cette zone, occupée de nos jours par un terrain de football et une friche boisée. Elles comprenaient aussi un hôpital aménagé dans l'ancienne demeure Braconnier (qui se trouvait à l'avant-plan de la photo ci-dessus).
Cette clinique, la voici abandonnée après sa fermeture en 1962 :
L'endroit de nos jours :
Les numéros, sur la vue aérienne ci-dessus, permettent de situer les éléments qui constituaient autrefois le paysage dans le périmètre des actuels quai du Halage (A), rue de la Digue (B), rue des Martyrs (C) et rue de la Meuse (D) : la maison et l'étude du notaire Arthur Coëme (1), l'hôpital du Horloz (2), les baraquements et logements ouvriers (3), les ateliers mécaniques (4), le site d'extraction (5). La flèche représente le sens de prise de vue de la photo suivante :
Quand on pénètre dans la friche boisée, on peut découvrir quelques ruines des anciennes installations charbonnières :
Dans un affaissement de terrain, on peut même apercevoir la tombe d'un des puits (dalle qui porte le millésime « 1960 », année de son comblement) :
Retour sur le terrain de football. Au centre de la photo qui suit, l'horizon est fermé par les façades arrière des maisons de la rue Neuve, cité-jardin à la mode 1900, construite à l'époque par le charbonnage du Horloz pour y loger ses mineurs :
Au départ, ces deux alignements d'habitations ouvrières (voir ci-dessous) disposaient de jardinets en façade, le long d'une ruelle centrale. Herbes folles et clôtures délabrées ont nécessité, en 1935, un assainissement des lieux, avec l'aménagement d'une place centrale dégagée :
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La fin d'une épopée
La société créée par la famille Braconier, devenue société anonyme en 1887*, aborde le XXe siècle avec deux sites d'exploitation : le siège Braconier (au Bonnet) et le siège de Tilleur.
* Les Braconier restant au contrôle du conseil d'administration.
Déficitaire, le siège Braconier finit par fermer en janvier 1930, et en décembre de la même année, la Société du Horloz est absorbée par celle de La Haye (charbonnage établi à Saint-Gilles et au Laveu : voir autre article).
En 1931, le groupe La Haye-Horloz fusionne avec la Société du Gosson :
Durant la seconde guerre mondiale, le site du Horloz (géré donc à ce moment par la Société du Gosson) est réquisitionné par l'occupant allemand, qui y fait construire en 1942 des baraquements pour loger les prisonniers russes astreints au travail dans la mine.
Après 1945, nos charbonnages font appel à de la main-d’œuvre étrangère, et ces baraquements sont destinés aux travailleurs italiens et slaves.
C'est dans ce contexte qu'un certain Guiseppe Barracato, originaire de Lercara Friddi (Sicile) arrive à Tilleur en 1948 pour travailler comme mineur de fond. En 1951, il fait venir sa famille. Son fils Francesco, tout gamin à l'époque, deviendra le chanteur Frédéric François.
La famille Barracato habite tout un temps dans l'une des maisons ouvrières de la rue de la Meuse, maisons que l'on voit sur la photo ci-dessous (À droite, derrière le mur du charbonnage, on aperçoit l'hôpital du Horloz) :
Seul le mur du charbonnage subsiste de nos jours :
En 1954 la Société des Charbonnages de Gosson, La Haye et Horloz réunis fusionne avec la Société des Charbonnages des Kessales (Jemeppe). Dans l'article de journal qui suit (cliquez dessus pour l'agrandir dans une nouvelle fenêtre), il est question d'un accident survenu en 1956 au siège du Horloz, charbonnage de Gosson-Kessales, rue des Martyrs à Tilleur :
Depuis 1951, nos houillères sont menacées par les normes de rentabilité exigées par la CECA. En 1958, le groupe Gosson-Kessales ferme son site de Jemeppe ; l'année suivante, il sacrifie le Horloz et le Gosson 1 pour sauver le Gosson 2*.
* Qui cessera malgré tout ses activités en 1966.
La place de l'église à la charnière des années 1950 et 60, avec à droite l'entrée du charbonnage du Horloz :
Le même endroit actuellement :
La rue des Martyrs en 1960 (probablement pendant la grande grève qui a marqué cette année) :
Le même endroit de nos jours :
La photo suivante a été prise depuis la passerelle enjambant les voies ferrées près de la gare de Tilleur. Au-delà de l'ancien site Chimeuse récemment assaini (l'espace vert pâle), l'ovale situe un terril du Horloz en attente d'arasement, de dépollution et de reconversion :
Merci à Patrice Bonhivert, Jean-Claude Jacobs et Tony Bergmans pour leur aide au niveau de la documentation iconographique.
Merci aussi à Georges Stepniak pour les renseignements fournis et la visite commentée de ce quartier de Tilleur. Il a connu les lieux dans sa jeunesse, quand son père était mineur au Horloz avant d'être muté au Gosson 2.
15:10 Écrit par Claude Warzée dans 12. Le charbonnage du Horloz à Tilleur | Commentaires (2) | Facebook |